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Nos fausses croyances

Alors que je débutais dans l’aide aux victimes de la traite humaine, j’avais de nombreuses croyances et à priori qui m’habitaient, notamment :

Ces femmes avaient cherché cette vie d’une façon ou d’une autre. Soit par un choix naïf, soit pour gagner de l’argent vite fait, soit par…je ne sais pas, j’avoue que je ne réfléchissais pas trop à quelles avaient pu être leurs motivations.

Ce que j’ai découvert a balayé ces idées, qui sont pourtant encore tellement répandues !

A notre première sortie, nous avons été frappés par le monde qui gravite autour de ces femmes, hommes ou transsexuel : des clients, de toutes sortes. Des réfugiés, en mal d’activité ou simplement logeant dans le quartier. Des sous-loueurs de chambre, juste pour une passe. Des gérants de salon. Des personnes de tous les continents, ou presque. Des drogués. Des dealers. Des « petits copains », un terme passe-partout pour parler des loverboys. Des grosses bagnoles. Des petits « coucous ». La police. En uniforme ou non. Des hommes qui font la garde : proxénètes ou voyeurs. Des adolescents. Des fourgons.

Et nous sommes allés directement vers les transsexuels. Un choc. Des traits masculins, le menton carré ou picoté de poils, leurs grosses mains trahissant leur identité sexuelle originelle, en mal d’amour, de vrai amour. Nous avons eu des conversations personnelles dès la première fois. Enfin quelqu’un qui vient les voir, s’intéresse à eux, les considère ! Je crois que je ne pourrais jamais oublier leurs sourires et leurs regards brillants. Je les vois encore.

De fil en aiguille, de nombreux contacts se sont développés. La confiance s’est tissée. Avec les transsexuels, mais aussi avec les prostituées. C’est un travail de longue haleine. La police le dit aussi. Pourquoi ? Car ces personnes ont vu tellement de fois leur confiance être trahie qu’elles ne la donnent plus aussi facilement. Sans compter les risques réels de représailles.

Première fausse-croyance : ces personnes qui exercent la prostitution, l’ont-elles choisie, cette activité ?

Au fil des témoignages amassés, nous pouvons affirmer ceci : le pourcentage de personnes qui choisissent véritablement de se prostituer est tellement faible qu’en presque dix ans de visite sur le terrain, nous pouvons les compter sur le doigt d’une main. Et pourtant, par année, nous en côtoyons entre 500 et 700…

D’ailleurs, qu’est-ce que cela signifie d’affirmer qu’elles choisissent cette activité ?

Nous avons rencontré une personne de la cinquantaine, à Genève, qui nous a dit être épanouie dans cette activité. Alors que nous lui demandions comment elle y était arrivée, son visage s’est obscurci. « Je n’aime pas parler de cela », nous a-t-elle dit, nous racontant pourtant que sa famille l’y a poussé quand elle était encore toute jeune. Des années horribles, et maintenant, elle a pris sa revanche : elle le fait volontairement. Est-ce vraiment un choix ? A-t-elle vraiment un autre choix ?

Une autre, complétement droguée, nous dit qu’elle a « choisi » de se prostituer, à la suite de différents événements qui font qu’elle n’avait plus d’autres revenus possibles. Elle pleure Mais elle ne sait pas comment s’en sortir. Est-ce vraiment un choix ?

Une autre, roumaine, veut finir ses études universitaires. Mais ses parents n’en ont pas les moyens. Elle « choisit » de se prostituer pendant les vacances universitaires pour payer ses études. Un choix ? Permettez-nous d’en douter.

Mais alors… pourquoi disent-elles que c’est un choix ?

La loi suisse est claire : la prostitution forcée est interdite. L’exploitation sexuelle d’un être humain est une infraction au code pénal, de même que l’encouragement à la prostitution impliquant une contrainte ou contre le gré de la personne. Conséquence ? Par peur de représailles par leurs proxénètes, les femmes déclarent toutes, qu’elles soient victimes ou non de la traite, qu’elles se prostituent volontairement. Le fait que la prostitution soit légale en Suisse favorise encore ce mécanisme. Finalement, la culpabilité et la honte d’une activité dénigrante et causant de gros dégâts psychiques et physiques, sans parler de la méconnaissance de leurs droits humains fondamentaux, poussent les femmes à nier leur statut de victime.

Deuxième fausse-croyance : les bonnes conditions suisses pour l’exercice de la prostitution…Or voici la réalité de nombreuses d’entre elles :

Toutes ou presque paient des loyers abusifs (400.- par semaine par exemple pour une chambre dans un appartement habité par d’autres femmes, soit 4x le loyer mensuel ! A ceci s’ajoute l’électricité, l’eau chaude et le wi-fi. A Genève, plusieurs bâtiments voient une rotation des femmes : celles qui dorment la journée laissent ensuite leur lit à celles qui ont travaillé la nuit, payant ainsi double loyer sur une même chambre !)

  • Beaucoup ne mangent pas à leur faim et n’ont pas d’espace pour cuisiner de la nourriture saine et chaude.
  • La grande majorité travaille 7/7 et ne sortent quasiment pas du périmètre de prostitution, vivant dans une grande isolation.
  • Nombreuses sont celles qui sont forcées à avorter par leurs fameux « petit-ami ». Nous savons aussi que certaines, pour rembourser le coût de l’intervention, travaillent quelques heures après avoir avorté.
  • L’accès aux soins est misérable, et tellement coûteux qu’elles attendent de repartir dans leurs pays pour bénéficier de soins, parfois trop tard.
  • Presque toutes nous racontent qu’elles font des cauchemars lorsqu’elles dorment, elles ont des angoisses telles que seule la drogue peut les calmer. Cocaïne, mariijuana, etc. Une association genevoise leur distribue d’ailleurs à tour de bras des pailles pour sniffer la cocaïne.
  • Le travail dans les salons est épuisant : 24h/24, 7 jours/7. Elles doivent consommer beaucoup d’alcool, car le gérant les y oblige pour faire un plus grand bénéfice.
  • Méconnaissant leurs droits, beaucoup paient leur proxénète pour que ce dernier fasse les démarches administratives pour obtenir le permis (certaines nous ont dit payer jusqu’à 2000.- ce sésame), alors que c’est gratuit si on le fait soi-même.

La liste est tellement longue…

Troisième fausse-croyance : la prostitution doit être considéré comme un métier comme un autre :

Il y a bien sûr certaines personnes qui ont choisi, sans pression aucune, d’exercer la prostitution. Toutefois, sur le terrain, nous ne pouvons que constater, à la suite de nombreuses études à ce sujet, les traumas et les séquelles que laisse une telle activité. Dédoublement de la personnalité auquel nous sommes confrontés, mais bien sûr aussi la police et la justice, ce qui ne facilite pas l’aide à leur apporter. Car les histoires, sordides, se modifient au gré de l’humeur.. ou devrais-je dire, de leur capacité à supporter ou non l’horreur de leur histoire.

Je n’ai jamais entendu de boulangère ou de caissière avoir besoin d’un spray au poivre pour se protéger sur sa place de travail. Toutes les prostituées, ou presque, ont un moyen de défense, allant du bouton d’alarme quand les salons en sont équipés, au couteau et bien sûr au spray mentionné ci-dessus…

Selon des études, plus de la moitié de ces femmes et hommes ont été abusés sexuellement dans leur enfance ou adolescence. La plupart nous raconte l’absence du père, ou la violence de ce dernier…les rendant des proies faciles. Mais surtout peu sûrs d’eux. Leur corps déjà abusés dans l’enfance n’a plus de valeur. Un de plus ou de moins. Cela ne change rien.

Une autre chose qui nous a frappé : le sens de la dignité. La dignité, c’est comme une flamme de vie au fond de nous. Parfois elle est presque inexistante, mourante… mais un seul regard respectueux, une parole réconfortante et compatissante la ranime immédiatement. Et c’est alors qu’un miracle se produit. Une fois que la personne a saisi qu’elle est quelqu’un, elle reprend courage. Elle reprend force. Elle peut à nouveau rêver d’un avenir meilleur. Nous avons vu des miracles, oui !

Une jeune femme obligée de se faire avorter par son « petit copain » a décidé de partir dans son pays pour donner naissance à un magnifique garçon dont elle nous a montrés une photo presque deux ans plus tard. Ce garçon lui a finalement donné la force de quitter la rue et de faire face à l’emprise de son loverboy.

Une autre, après deux ans de rencontres et de discussion avec nous, a quitté le vieillard chez qui elle logeait contre divers services non rémunérés, pour partir dans son pays d’Afrique et y devenir conductrice de taxi !

Des femmes ont été redirigées vers des centres d’hébergement en vue d’une procédure pénale, d’autres ont démarré des formations pour se réinsérer professionnellement…

Et combien d’autres ! Nous les aimons, ces femmes et ces hommes. Il faut les aimer, ces femmes et ces hommes. Ils n’ont pour la plupart pas choisi cette vie. Ce sont des victimes de criminels, des victimes des guerres, de la pauvreté et de l’ignorance.

Qui viendra à leur secours ? Qui entendra leurs cris de douleurs ? Qui ?

Nous devons changer notre façon de voir les choses. Ne soyons plus complices de ce crime qui se passe sous nos yeux. Nous devons agir pour que ces personnes retrouvent une dignité volée.

Si cela vous a interpelé, contactez-nous : info@perlaorganisation.com


Par Betsy

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